THE OSCILLATION

Avant d’hypnotiser la petite salle du Supersonic à coups de rythmiques motoriques et de murs de son apocalyptiques, la paire anglaise Demian Castellanos/Tom Relleen a répondu aux questions de notre journaliste maison au cours d’une interview confession fort intéressante. Entre autres sujets évoqués : la religion, les light-shows et bien sûr l’apocalypse.

 

 

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Supersonic : En littérature, une monographie est généralement un accomplissement pour un auteur. Ce nouvel album (qui s’appelle « Monography », NDR) est-il celui de votre maturité?

Demian : Non, je ne dirais pas ça. C’est plus cette idée d’une seule et même chose. Le contraire d’une monographie en fin de compte où tout est possible, alors que parfois il me semble justement que rien n’est possible. Oh je suis déjà négatif (rires).

Supersonic : Il s’agit donc en quelque sorte d’un album-concept ?

Demian : Oui, en quelque sorte.. Il y a un thème central qui tourne autour de la volonté de s’échapper de ce sentiment « d’être supprimé », d’une certaine manière.

Tom : Mais ce n’est pas du nihilisme.

Supersonic : Êtes vous déjà en train de débattre ?

The Oscillation : (rires) Oui !

Supersonic : Cette interview s’annonce très bien ! Votre musique est plutôt sombre, n’est-ce pas ?

Demian : Oui.

Supersonic : Vous trouvez les chansons joyeuses chiantes ?

Demian : Ça ne me dérange pas que des gens heureux écrivent des chansons gaies. J.J Cale le faisait très bien, et je suis toujours content d’en écouter. Il y a un côté réconfortant !

Tom : J’aime aussi en écouter de temps en temps. Tu sais même certaines chansons de « The Oscillation », si on ne peut pas aller jusqu’à dire qu’elles soient très joyeuses, ont aussi d’une certaine manière un côté réconfortant.

Supersonic : Hum.

Tom : Tu penses qu’on est négatifs ? Tu ressens de la négativité, de la tristesse dans notre musique ?

Supersonic : Non absolument pas, simplement votre esthétique est plutôt sombre. Mais quand tu parles d’un « côté réconfortant », ça me fait penser à cette chanson que vous avez écrite, « Head Hang Low ». C’est plux doux, plus psych’ pop, ça ferait presque penser à du « Tame Impala ».

Tom : Oui, c’est possible. Il s’agit en fait d’une reprise de Julian Cope (auteur-compositeur de psyché anglais, NDR). C’est vrai que la production est différente de d’habitude.. Plus « pop » peut-être..

Demian : Oui, il y a presque un côté « shoegaze » dans cette chanson, un peu moins sombre..

Supersonic : A propos de ce côté sombre, c’est ce qui sort en premier quand vous jouez? Ce n’est pas une volonté de sonner comme ça?

Tom : Tout à fait, c’est ce qui sort en premier. Il n’y a rien de conscient là-dedans, si c’est ce que tu veux savoir. Je peux te prendre une cigarette?

Supersonic : Oui, sans problème. Vous aimeriez faire un album acoustique un jour? Comme l’a fait King Gizzard and The Lizzard Wizzard récemment? (autre groupe de rock psyché, NDR)

Tom : Intéressant.. C’est plus une question pour Mr Demian, le producteur. Car ça veut dire que tu devrais abandonner certaines choses que tu aimes, à commencer par les effets, mais aussi une certaine façon de produire..

Demian : (rires) Enregistrer en acoustique (analogique), pourquoi pas. Je pourrais même enregistrer en acoustique et produire derrière avec ma façon bizarre! Mon autre projet Tomaga est un peu acoustique..

Supersonic : Je veux parler des instruments, pas de la production ou du procédé d’enregistrement. Est-ce que tu enregistrerais un album avec uniquement des instruments acoustiques?
Demian : Peut-être un jour..

Supersonic : Pas maintenant (sourires)

Demian : Je ne le mets pas de côté pour autant..

Tom : Il a parlé de Tomaga parce qu’à part le synthétiseur, il ne s’agit que d’instruments acoustiques. Personnellement je trouve que c’est une direction très intéressante. La dynamique est si différente. On devrait y réfléchir!

Demian : Oui, c’est intéressant d’enregistrer des choses avec un son naturel, comme la batterie qui est acoustique.. A méditer.

Supersonic : J’ai entendu parler des light-shows de Julian Hand. Vous le faites encore?

Demian : Pas sur cette tournée.

Mon téléphone sonne

Demian : J’ai oublié d’appeler ma mère (rires)

Supersonic : Comment tu décrirais ces light-shows? C’est souvent assez impressionnant..

Demian : A vrai dire, il est très influencé par la scène psychédélique londonienne des années 60..

Supersonic : La scène « UFO » où se sont produits Pink Floyd, Soft Machine..

Demian : Oui, et aussi l’Exploding Spastic Inevitable (EPI) du Velvet Underground, qui se passait à New-York.

Supersonic : Tu peux nous parler du procédé?

Demian : Oui, c’est un travail assez dur.. Tu dois peindre de l’huile et des couleurs sur de très petites portions de verre, et ça fait ce truc incroyable..

Supersonic : C’est fait en direct’?

Demian : Oui, c’est un procédé très naturel, très brut.

Supersonic : Tu penses que le public arrive à se concentrer sur le visuel et sur la musique en même temps?

Tom : Je pense que le fait d’avoir cette forte expérience visuelle est complémentaire de la musique. Je pense même que le public est d’autant plus réceptif à la musique avec les light-shows. Avec ces visuels incroyables, ils vont se fixer sur le guitariste, puis sur le batteur.. C’est vraiment un moyen de modifier la perception de la musique.

Demian : Les rock-stars comme les Rolling Stones qui jouent dans des grands stades devraient essayer, parce que de toute façon t’es souvent trop loin pour voir quoi que ce soit. Ca changerait des gros plans sur la tête de Keith Richards, Mick Jagger.. (rires)

Supersonic : Pour des gens qui ne connaissent pas, comment leur décrirais-tu le « kraut-rock »?

Demian : Hum.. C’est étrange car, c’est assez vaste en fait.. A l’origine c’est un mouvement allemand, avec Tangerine Dream..

Tom : Das Kosmiche (cosmique en allemand, NDR)

Demian : (rires)

Tom : Plus sérieusement, les groupes de « kraut-rock » avaient une idée très précise en tête quand ils ont commencé. Ils ne voulaient pas sonner comme les groupes anglais, ils voulaient proposer quelque chose de différent. A commencer par la rythmique mais aussi tout le reste, avec une musique plus longue, « motorique », répétitive, avec des influences jazz sur la batterie qui vont au delà du « poum poum tchak » issu du rock. Un mouvement incroyable et très inspirant pour beaucoup de musiciens qui se sont dit : « oh ces gens ont créé quelque chose de complétement nouveau ». Et je pense qu’on en fait partie avec The Oscillation.

Supersonic : Et pour ce qui est de « psychédélique »?

Demian : Fuck exactement pareil! (rires)

Tom : Ce terme désigne tellement de choses pour tellement de gens différents..

Supersonic : (rires) C’est bien pour ça que je vous ai posé la question!

Tom : Pour moi « psychédélique » renvoie à une juxtaposition d’éléments qui rend la musique étrange.

Demian : Oui étrange, et les effets y sont pour beaucoup. Le psychédélisme en musique est souvent lié à un usage massif d’effets. Pour créer une sorte de rêve et sans pour autant prendre de l’acide d’ailleurs. Il s’agit plutôt de créer une musique qui sonne comme un trip sous drogue.. Je ne sais pas c’est une question difficile!

Supersonic : Quelle serait alors le premier groupe psychédélique?

Demian : Pink Floyd peut-être.. Je ne sais pas, des gens prenaient déjà de l’acide avant..

Supersonic : Pour toi c’est intrinséquement lié à l’expérience de l’acide?

Demian : Oui, le mouvement psychédélique vient de là je pense.. Tous les premiers groupes étiquetés comme tels prenaient du LSD.. Je ne sais même plus ce que ça signifie mais si tu en reviens à l’éthymologie ça voudrait dire qu’en prenant de l’acide tu expérimenterais la « psyché », une certaine expérience mentale..

Supersonic : Si je m’en réfère à certaines chansons de votre dernier album, comme Take Us To The Moon, Let It Be The End : l’apocalypse sur terre c’est pour bientôt?

Demian : Elle pend en permanence au dessus de nos têtes.. (rires) J’aime bien l’idée des Mayas qui avaient prédit la fin du monde pour 2012, mais il s’agit en fait d’un renouveau.. Les choses ne finissent jamais vraiment. Si une civilisation est détruite, une autre recommencera derrière.. La vie est faite de cycles.

Tom : Je pense que chaque civilisation, et même chaque génération a toujours pensé qu’elle était la dernière.. Cette idée d’apocalypse est assez commune en fin de compte. En revanche ça devient plus profond si ça engage l’idée de destruction, et que tout devrait être détruit.

Supersonic : Est-ce que tu défends cette idée?

Tom : Hum, oui d’une certaine manière quand on observe l’état du monde actuellement.. L’apocalypse environnementale que notre génération est la première à connaître, est vraiment profonde. C’est assez dérangeant et ça a tendance à créer une atmosphère qui est très sombre. C’est d’autant plus important que ce sentiment doit être exprimé. Et l’art et ma musique sont les meilleurs moyens de le faire. Le meilleur moyen de s’exprimer en tant que personne et en tant que culture. Il faut absolument évacuer cette noirceur.

Demian : C’est aussi assez drôle, parce que je viens justement de finir un livre qui raconte l’angleterre des années 80, et à quel point tout était foutu, le gouvernement pourri.. Alors les gens s’échappaient de tout ça en écrivant de la musique bizarre.. Tu te dis que c’était peut être mieux dans les années 60 mais malheureusement quand tu t’intéresses à la musique des 13th Floor Elevators tu te rends compte que c’était juste la même chose! Chaque génération ressent cette même noirceur.

Supersonic : Plus généralement, le thème du futur est récurrent dans vos chansons.

Demian : Oui, c’est comme ça dans mon esprit, tu dois pouvoir te projeter dans l’avenir.

Supersonic : Comment tu vois l’avenir?

Demian : De l’espoir. (rires)

Supersonic : Dernière question, comment vous sentez-vous quand vous êtes sur scène et que vous sonnez tous parfaitement bien ensemble?

Tom : C’est la plus belle chose au monde.

Supersonic : Comment tu décrirais ça avec un mot?

Tom : C’est comme une transe, tu en viens même à oublier que tu es là, tu arrêtes de penser et tu t’oublies toi-même. C’est un sentiment très beau pour un musicien. C’est ce qui rend le concert si addictif, tu n’es même plus conscient de quoi que ce soit.

Supersonic : Tu ne vois même plus les autres musiciens, mais tu les sens.

Tom : Oui, tu les sens, tu les vois avec ton esprit. Tu n’as même pas besoin de les regarder puisque tu fais alors partie d’une même entité : le son, la musique.

Supersonic : La meilleure drogue c’est la musique, n’est-ce pas? (« music is the drug »)

Demian : (rires) Oui. La réalité est la drogue.

Tom : Je souhaite à n’importe qui de pouvoir expérimenter cette réalité musicale un jour ou l’autre, ou n’importe quel type de réalité artistique. Celles qui te permettent de te laisser aller, parce que ça vient de ton sub-conscient, de prendre ton pied personnellement dans cette mini communauté non-linguistique. C’est très puissant. Remarque quand tu vas à un concert tu peux réussir à ressentir un tel plaisir, parce qu’il y a aussi une forme de communion entre tous les membres du public et le groupe. C’est comme dans une église, tu laisses ta vie de côté durant un instant et tu profites.

Supersonic : Le Rock’n’roll était comme une nouvelle religion dans les années 60.

Tom : Oui, et dans toutes les premières expériences religieuses qui datent de plusieurs centaines voire milliers d’années, on trouve la musique comme un élément essentiel. Comme cette communauté il y a 500 ans avec des gens qui écoutaient de l’orgue et chantaient ensemble dans une église ; ils devaient penser: « oh mon dieu la musique est magnifique, rapide et difficile ». Toutes ces choses là sont liées. Alors oui, « music is the drug », le rock en est juste une nouvelle version, et ça peut tout aussi bien être la techno, new-wave, ça sera la même chose. Tout ce qui permet d’écraser les barrières de l’identité.

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Maxime Jammet pour Supersonic
Interview réalisée le 22 septembre 2016