MOTORAMA

 

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« Je n’aime pas la musique joyeuse »

Comme Dostoievski à l’écrit et Tarkovski à l’écran, Vladislav Parshin, tête pensante de Motorama, retranscrit à merveille la mélancolie du peuple russe dans son art, cette fois-ci en musique. Une musique froide, motorique et ténébreuse qu’il bricole depuis bientôt 10 ans à partir de son QG de Rostov sur le Don et dont il nous confie les secrets aux abords de la seine, quelques minutes seulement après avoir remué les âmes parisiennes venues l’écouter pour cette sérieuse première de nos Holi(mon)days. Avec ce ton direct, sans fioritures et cet humour à froid qui fait des miracles de l’autre côté de l’Europe.

Bonjour Vladislav. Ta musique et tes paroles sont assez mélancoliques, tu aimes la tristesse ?

Vladislav Parshin : La question n’est pas de savoir si j’aime ça ou non. C’est une partie de la vie et c’est quelque chose de très intéressant, je pense. Je n’aime pas la musique qui est trop joyeuse, je préfère les histoires réelles, c’est plus intéressant.

D’accord. C’est un parti-pris esthétique ?

C’est quelque chose de très russe.. Ce sentiment de tristesse, ça fait partie de nos traditions, de notre musique. La musique folklorique russe n’est pas joyeuse.

Ton son de guitare est très pur : c’est quoi ton secret avec l’utilisation des effets ?

Mon secret est qu’on essaye de ne pas utiliser trop de pédales d’effet. On a essayé quelque fois, ça n’a pas marché. On se contente de jouer avec la réverbération de la guitare, de l’ampli et de l’espace où on joue. Les quelques pédales qu’on a sont des pédales bon marché, et puis c’est tout. On a pas besoin de plus.

Tu as déclaré que vos démos sonnent souvent mieux que vos mixages finaux. Pourquoi ne pas publier les démos ?

Tous nos albums sont des démos, en terme de production. Si tu as la chance de venir un jour dans notre studio, tu verras qu’il n’y a que du matériel très bon marché. Nous ne sommes pas des professionnels, d’une certaine manière. Nous apprenons. Nous n’achetons pas trop d’équipement moderne, nous recherchons souvent de vieilles pédales pour avoir notre propre son.

Vous voulez tout faire vous mêmes ? (Do It Yourself, NDR)

Oui, c’est quelque chose d’important pour nous. Et pas seulement la musique. C’est moi qui m’occupe des vidéos aussi.

Tu veux maîtriser tout le processus ?

Oui. On est pas non plus un groupe isolé, on travaille avec beaucoup d’amis pour d’autres choses, mais ça reste des gens assez proches de nous, qui comprennent notre travail.

« Je suis marié, j’ai un enfant, c’est aussi important que la musique »

J’ai lu que tu aimes bien voyager, rencontrer des gens avant de revenir dans ton studio en Russie pour tout sortir en 2 semaines et faire un album. C’est important pour toi de vivre avant d’écrire ?

 Qu’est-ce que tu veux dire ?

Je veux dire que tu aimes bien trouver l’inspiration dehors, par exemple en voyageant, et pas rester enfermé en studio. Le fait de vivre des choses réellement, avant de les raconter ?

Oui, d’une certaine manière. Aujourd’hui, j’essaie surtout d’utiliser tout mon temps libre à la musique, quand je ne dois pas m’occuper de ma famille. Désormais je suis marié, j’ai un enfant, c’est aussi important que la musique. Je veux le voir grandir et je peux passer des journées entières à jouer avec lui. Parfois j’ai des idées qui me viennent, je les note immédiatement. Ensuite, je fais des chansons avec.

D’accord, tu peux donc trouver l’inspiration partout ?

J’ai beaucoup de mal à créer quand je suis en tournée. Quelques mots ça et là, pas plus. C’est important de rester à la maison aussi. En fait, je pense que tout est connecté, les deux sont connectés. L’inspiration vient de la vie, des tournées un peu, des voyages, de la famille, des amis..

D’accord. Tu n’es donc pas du genre à rester enfermé en studio ?

Non. Après la musique reste un travail. Tous les matins quand tu te lèves, tu fais des choses pour t’occuper et rapidement tu écris quelques mélodies basiques. Tu n’en garderas qu’une seule.

A ce propos, tu as enregistré 4 albums en 4 ans, aussi rapide que Lucky Luke. Tu n’aimes pas te reposer de temps en temps ?

Non, je n’aime pas trop ça. Quand on a du matériel publiable il faut le publier le plus rapidement possible. C’est frais, nouveau et intéressant à jouer en concert. C’est très important. Passer 1 an sur un seul morceau, je n’aime pas ça. Ce n’est pas ma vision ce que doit être un groupe de musique. Je n’aime pas la musique trop chiadé.

A ce propos j’ai lu que tu enregistrais tout avec un vieux Tascam ?

Oui, entre autres. On a acheté des studios portables très pratiques, en K7 et Digital. Ils sont tout petits, on les utilise en tournée. Il n’y a qu’un seul canal, c’est suffisant pour fixer des idées.

Cool. C’est une façon de sonner « Lo-Fi » ?

Je sais pas. C’est de plus en plus de sonner « Lo-Fi » de nos jours. Avec les ordinateurs, le son est toujours très clair, très net. Si tu veux des sons plus naturels, il faut procéder comme dans les années 70 ou 80, avec des enregistreurs à cassette. C’est la même chose en photo, entre l’analogique et le digital. Au fond peu importe, l’important reste les idées, les mélodies. Et si les moyens utilisés mettent en valeur les fins artistiques, c’est très bien.

Nous ne sommes ni des passéistes ni des modernistes, on utilise ce qu’on a, c’est tout. Généralement du matériel bon marché. On a rien de très cher dans notre home-studio.

D’accord. Tu gagnes bien ta vie avec la musique ?

Aujourd’hui oui, je peux vivre uniquement grâce à la musique. Parce que je joue dans 3 groupes et que je fais beaucoup de concerts.

« J’ai enfin quitté les bureaux. Une libération »

C’est presque un exploit en 2017.

 Oui, pour moi c’est assez récent. J’ai commencé sérieusement en 2005, et j’ai décidé de quitter mon job alimentaire qu’en 2013. Après 8 années assez dures, j’ai enfin quitté les bureaux pour me consacrer entièrement à la musique. Faire les deux en même temps était vraiment très fatiguant, c’est une vraie libération.

J’ai lu que tu es très attaché à ta ville natale, Rostov On Don. Tu peux nous en dire quelques mots ?

 C’est dans le sud de la Russie, pas loin de la frontière ukrainienne..

Que s’y passe-t-il de spécial ?

Pas grand chose à vrai dire. Je vis en banlieue. Ma maison est très proche d’un énorme cimetière. D’ailleurs je crois que c’est le plus grand cimetière d’Europe.. Quoi qu’il en soit, cette ville est connectée à ma vie, à mon travail, à ma famille, à mes amis. Je connais ses rues, ma mémoire en est fortement imprimée. On essaie de rendre cette ville meilleure.

En tant que journaliste, je vois ta musique comme une version années 80 de Youth Lagoon. T’en penses quoi ?

 Youth Lagoon ? Ce nom me dit vaguement quelque chose, mais je n’en sais pas plus. C’est un groupe moderne ?

 Oui. Tu devrais écouter.

Ok, je vais écouter.

Après ce concert, je vois aussi un vrai lien avec The War On Drugs. Tu les connais, eux ?

Je crois oui, c’est du rock très commercial non ? Mark Kozelek de Sun Kil Moon a écrit une chanson là-dessus, avec une phrase qui dit « The War On Drugs est du rock très commercial ». Il déteste ce groupe.

(rires) Je ne savais pas. Personnellement je ne trouve pas ce groupe si commercial, et je vois quelques points communs avec vous, notamment cette rythmique robotique.

Vraiment ? Ah oui la rythmique, peut-être, il faut que je réécoute. J’ai entendu certaines de leurs chansons, c’est un « gros » groupe de rock j’ai l’impression. Mark Kozelec est un très bon ami et j’aime beaucoup ce qu’il fait mais..  Personnellement je n’ai rien contre The War On Drugs.

Peut-être qu’on ne parle pas du même groupe ?

 (rires) Je crois bien qu’on parle du même. C’est avec cet homme très grand aux cheveux longs et noirs ?

(rires) Oui c’est bien ça. Une des vieilles chansons s’appelle justement « Old », ça parle du passage à l’âge adulte ?

 (silence) Je ne me souviens pas du sens de cette chanson. On ne la joue plus. On ne l’a joué que quelques fois. Il faut que je regarde, je ne me souviens plus de quoi ça parle. Je crois que c’était une chanson contre ces gens qui n’arrivent pas à grandir, qui continuent à lire des comics à 30 ans, ces gens qui continuent à faire du skate à 40 ans. Ce n’est pas du tout mon truc. Devenir adulte, c’est très important. Arrêter d’être un enfant stupide, pour être en vie. Voici la clé.

« J’aime la structure classique refrain-couplet » 

Votre son de batterie est si répétitif que je me demandais si c’était un vrai batteur ou une boîte à rythme. Je viens de voir que c’est un vrai batteur. Est-ce un véritable humain ?

(rires) C’est intéressant que tu dises ça, parce qu’on a justement hésité au départ à utiliser une boîte à rythmes. Il en utilise un peu mais c’est très rare, la plupart du temps il joue vraiment. Il est très mécanique et utilise une batterie électronique, ça renforce la confusion avec la boîte à rythmes.

Il faut être sacrément entraîné pour tenir ce rythme durant 1h.

 Il donne des cours de batterie aux enfants, donc il joue tous les jours.

Ce son de batterie répétitif, c’est celui là et pas un autre ?

Oui, je n’aime pas les rythmes de batterie trop arrangés. Je la veux la plus simple possible. Comme mes mélodies. On essaie d’être le plus minimaliste possible, mais pas forcément répétitif. J’aime les chansons courtes et les changements harmoniques récurrents. La moitié de nos chansons sont très courtes et j’aime la structure classique « refrain-couplet ». Il faut aller vite.

Ton projet solo Bergen Kremer..

J’ai changé le nom récemment en russe. C’est plus Bergen Kremer mais Лето В Городe qui veut dire « summer in the city ».

Content de l’apprendre ! Y’a-t-il un lien avec la chanson des Lovin’ Spoonful ?

 Non, je ne sais pas quel est ce groupe.

(rires) Ok. Avec ce projet (je ne peux évidemment pas prononcer le nom russe, NDR) tu pousses encore plus loin le côté électronique déjà présent dans Motorama. Est-ce que la musique électronique ne serait pas en vérité ton premier amour ?

 Non. C’est juste un autre genre de musique que j’aime beaucoup. Quand j’étais enfant j’écoutais beaucoup Kraftwerk, ce n’est pas très dansant mais déjà très électronique pour l’époque. J’aime aussi beaucoup certains groupes du début des années 2000 comme ce groupe allemand, The Jeans Team. Ils sont venus jouer à Rostov en 2001. Je suis allé au concert et ça a tout simplement changé ma vision de la musique. C’était si beau.. Ils viennent de Berlin.. Un côté très électronique et un côté très punk. Les premières chansons sont très dansantes, ensuite ils ajoutent un côté punk très brutal. Il y a aussi des producteurs de house que j’aime beaucoup.

Oui, il y a un vrai penchant house dans Bergen Kremer. C’est un mix’ entre ça et Motorama, j’aime beaucoup.

 Merci beaucoup. Peu de gens connaissent ce projet.

Vous êtes un groupe cold qui vient d’un pays cold : y’a-t-il un lien entre le climat russe et ta musique ?

 Oui, c’est une bonne analyse. Ce style de musique est très populaire en Russie. Dans les années 80, quand tout ça est apparu en Angleterre, aux USA et dans le monde entier, la musique post-punk et minimaliste a explosé en Russie. Je pense qu’il y a un vrai lien, avec notre environnement claustrophobique, un sentiment d’isolation et de solitude, comme tu disais tout à l’heure. La vie moderne bien sûr, mais aussi la pauvreté, tout ce qui fait la Russie.

Intéressant. Une dernière question : ton synthétiseur favori ?

 Il y en a 2. Le premier a été fabriqué en URSS dans les années 80, je ne me rappelle plus du nom exact. Il a des sons de cordes (strings) très purs. Le second est le Casio SA47, il est bon marché et très léger, tu peux le transporter facilement. Tu peux même brancher une pédale de guitare et il sonne très bien. Un très bon produit. J’en ai offert un à mon fils, parfois je lui pique pour l’emmener avec moi en tournée. (rires). Lui il reste à la maison, avec sa mère. (rires).

(rires) Cette fois c’est vraiment la dernière : ton album 80’s préféré ?

Long silence. Le choix est rude pour un fan des années 80 comme lui.

Je mettrais en premier un groupe soviétique des années 80, comme j’ai grandi en écoutant énormément de groupes soviétiques des années 80. Je choisirais n’importe quel album de Kino.. En second The Smiths. Ensuite New Order, bien sûr.. Et je terminerais par un groupe israélien que j’aime beaucoup : Minimal Kompact.

Maxime Jammet pour Supersonic
Propos recueillis le 26 Juin 2017

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