ALEX CAMERON
Pour la première édition du « Pitchfork Avant-Garde 2016 » chez lui, le Supersonic n’a pas été déçu. Le nouveau roi du cold-punk Alex Cameron a marqué les esprits devant une salle ravie. Avant cela, le vampire australien répondait à nos questions avec force de franchise. Où l’on constate que Cameron garde la tête bien froide alors qu’il vient enfin de signer chez Secretly Canadian.
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Supersonic : En juin tu disais à Gonzai: « Today my challenge in interviews is to affirm that i feel good and that i succeed. » Comment tu te sens aujourd’hui ?
Alex Cameron : Pour moi le véritable succès est de réussir à garder une cohérence, jour après jour. Dans la manière de faire des concerts, de travailler. Plus on abat de travail, plus on touche au succès. Oui pour moi ça n’a rien à voir avec le fait d’avoir de l’argent ou de jouer devant des milliers de personnes. C’est vraiment la cohérence : si on joue bien devant un public à l’écoute, si on travaille bien, ça c’est un vrai succès. Il s’agit de se sentir bien avec toutes ces choses, l’argent arrive après.
Supersonic : Si je me souviens bien, ce n’est pas la première fois que tu joues pour Pitchfork..
Alex Cameron : C’est vrai, j’ai joué ici il y a 2 ans pour l’after-party.
Supersonic : Suite à ce concert Foxygen t’a embarqué pour une énorme tournée américaine : 30 concerts en 1 mois..
Alex Cameron : Oui, c’est ça, on a fait un sacré paquet de concerts avec eux.
Supersonic : Et suite à cette tournée tu as (enfin) signé sur un label, chez Secretly Canadian.. Tout a commencé ici en fait ?
Alex Cameron : Oui, c’est vrai, tout a commencé à cette soirée du Pitchork, à Paris.
Supersonic : Et maintenant tu reviens dans ce festival, avec un tout nouveau statut. La boucle est bouclée ?
Alex Cameron : Non ça n’est pas ça, la boucle avait déjà commencé avant et elle ne fait que continuer, dans le bon sens. Une étincelle s’est allumée il y a deux ans et il s’agit de la faire durer le plus longtemps possible.
Supersonic : Mais tu n’es toujours pas dans le programme central du Pitchfork..
Alex Cameron : C’est vrai mais on s’en fiche, on est déjà très contents d’être là où on est tu sais. Ce qui compte encore une fois c’est de bien travailler, qu’importe la taille de l’audience.
Supersonic : Cet album que tu ressors chez Secretly Candian deux ans après est auto-biographique ? Il raconte ton histoire ?
Alex Cameron : C’est vrai..
Supersonic : Il raconte ton combat pour réussir dans l’industrie de la musique ?
Alex Cameron : Hum, je pense que c’est plus une réflexion sur comment je me sentais durant toutes ces années. Le but ici n’est pas de dépeindre à l’identique ma vie dans l’industrie de la musique ; c’est plus le résultat artistique des émotions que j’ai ressenti dans ces moments là. C’est plus centré sur moi et sur mes émotions que sur une critique du show-business. Je n’ai pas d’opinions sur comment celui-ci marche..
Supersonic : En revanche toutes tes chansons racontent ta vie ?
Alex Cameron : Non j’écris des personnages en me basant sur des choses que je vois et que je ressens. La manière dont je réagis aux situations que je vis.. Tout ça participe de mon processus d’écriture de chansons.
Supersonic : Tu devrais garder les droits de ton histoire avant qu’un réalisateur ne les volent..
Alex Cameron : (rires) Tu crois ?
Supersonic : Oui, toutes ces années où tu as galéré avant de signer chez Secretly Canadian.. « Jumpin The Shark », c’est ça ? Esquiver les requins de l’industrie de la musique ?
Alex Cameron : Non, le « requin » c’est l’échec, pas le show-business. Le Show-business est le fait de vaincre l’échec (Jumpin’), le vrai requin. On est toujours à deux doigts de réussir ou d’échouer, la marge entre les deux est très faible. A tout moment tu peux plonger avec le requin, être détruit, mourir. C’est intéressant comme question car je n’y avais pas réfléchi sous cet angle et maintenant ça m’apparaît clair : le requin est l’échec est le fait de sauter/vaincre est le show-business. Maintenant que j’ai réussi à sauter, j’ai hâte de voir le prochain qui va attraper le requin..
Supersonic : Ton album raconte donc ton propre échec ?
Alex Cameron : Oui, et si quelqu’un vient me voir pour faire un film sur ma vie j’ai envie de dire : si c’est un bon film, pourquoi pas ? Si j’inspire les gens pour qu’ils fassent de bonnes choses, d’accord, mais imagine si c’est pour faire un mauvais film ? Tu vois ce que je veux dire ?
Son saxophoniste intervient :
« Dans ce cas là ça ne serait pas de ta faute Alex.. C’est si facile de faire un mauvais film, il suffit de choisir le mauvais casting, le mauvais réalisateur.. Mais ton histoire est bonne ! Je ne supporterais pas qu’un mauvais film sorte sur ta vie, tu n’es pas d’accord ? »
Alex Cameron : C’est vrai tu as raison, je ne devrais pas être si dur avec moi-même. Je pourrais même le dénoncer pour avoir raconté de façon trop authentique ma vie personnelle ! Et même si c’est très bon mais que ça m’énerve au plus au point, je ferai une intervention publique pour dire que c’est stupide à souhait.
Le Saxophoniste : Ils réussissent bien à faire des bons films sur la vie de Gandhi alors que sa vie est plutôt chiante.. Un film sur toi serait forcément bon mais ce n’est pas une raison pour les laisser faire..
Supersonic : (rires) Ok, mais ça n’était pas ma question principale.
Le Saxophoniste : J’aime bien cette question !
Supersonic : Dans une intervention récente, tu disais que tu pensais déjà au futur. A ce propos je me demandais sur quoi tu allais écrire maintenant que « tout va bien » dans ta vie, si j’ose dire ?
Alex Cameron : (rires) Je vais t’expliquer une chose : signer sur un label, et même si c’est un très bon label comme Secretly Canadian ne te garantit absolument rien.. Tout ce que ça implique c’est que tu vas avoir encore plus de travail à faire. Ça veut dire que tu es enfin en capacité de travailler correctement sur ta musique. Cela ne veut pas dire que tu aies « accompli » quoi que ce soit. Signer sur un label, c’est juste obtenir un emploi. C’est le début de quelque chose. C’est comme si quelqu’un vient te dire « je veux que tu écrives un disque pour moi » et que toi tu vas te bourrer la gueule avec tes potes.. Tu fais la fête une fois que tu as fini ton disque. On est heureux dans la vie quand on a du travail, on est satisfaits quand on a du travail.
Le saxophoniste : Il y a tellement de groupes qui ont des gros contrats dans des grosses maisons de disque et qui font des disques plus que mauvais..
Supersonic : Tu es heureux de cette nouvelle vie ? Tu es content d’avoir enfin « un travail » comme tu dis ?
Alex Cameron : Oui, je suis très heureux d’avoir eût ce travail. Pour revenir plus précisément à ta question précédente : mon écriture a toujours été le fruit de mon imagination, ça ne me fait pas peur de m’éloigner de la réalité dans mes chansons. Donc ce changement de vie ne pas va influer tant que ça sur mon écriture, et en plus on a pas non plus atteint un niveau de vie incroyable : on fait encore tout nous-mêmes, on conduit le tour-bus, on joue tout seuls..
Supersonic : Es-tu toujours aussi libre dans l’écriture, maintenant que tu as des gens qui travaillent avec toi ?
Alex Cameron : Oui, totalement. Leur rôle est même plutôt intéressant pour nous, ça permet d’avoir des avis extérieurs de qualité, mais à la fin on prend les décisions artistiques nous-mêmes. Ce qu’on fait est un peu risqué, car au final on parle quand même pas mal des « vraies choses »..
Supersonic : C’est toujours mieux de parler de « vraies choses », même si c’est parfois dur à entendre..
Alex Cameron : Je suis tout à fait d’accord.
Supersonic : Quelles sont ces « vraies choses » dont tu aimes parler ?
Alex Cameron : J’aime raconter ce qu’on a coutume d’appeler les « petites histoires », principalement des tragédies individuelles. Je ne veux pas raconter l’histoire de la société, je m’intéresse à des gens. C’est délicat parce que certaines de ces histoires sont si personnelles, mais c’est ce qui les rend intéressantes.. La société ne m’intéresse pas, je chante des histoires personnelles, celles d’individus. C’est pour moi celles qui sont les plus belles, malgré leur aspect tragique.
Supersonic : Il peut donc aussi s’agir ta propre tragédie individuelle ?
Alex Cameron : Oui, bien sûr, ça refait forcément surface à un moment ou à un autre.
Supersonic : Beaucoup de gens te comparent à Nick Cave mais je trouve ça complétement faux. Vous avez (un peu) le même style d’accord, sauf que lui c’est un fake et toi tu es un « vrai », si j’ose dire. C’est un business-man qui joue le rôle d’un vampire mal dans sa peau alors que tu es véritablement mal dans ta peau.
Alex Cameron : Intéressant.
Supersonic : Qu’est-ce que tu en penses ?
Alex Cameron : Hum, toutes ces histoires d’étiquette tu sais.. Au fond ça à trait à des discours et pas à la musique en elle-même.. Mais on peut me comparer à qui on veut, je m’en fiche. Si ça les aide à comprendre ma musique, après tout pourquoi pas.. Pour certaines personnes c’est une porte d’entrée pour comprendre, et je laisse cette porte grande ouverte.
Supersonic : Je te trouve plus authentique que Nick Cave.
Alex Cameron : A notre niveau ça serait dur de ne pas l’être, on est encore petits comparés à lui. On se reparle dans 10 ans et on verra, ça sera sûrement assez différent.. Je ne pense pas que Nick Cave soit un « fake »..
Supersonic : Il y a un documentaire où il explique qu’il calcule tout, qu’il joue un personnage en permanence. Et je ne pense pas que tu joues quoi que ce soit.
Alex Cameron : C’est vrai. Pour te dire la vérité c’est quand je suis sur scène que je me sens le plus proche de mon moi profond. Une sensation de bien-être indescriptible.
Supersonic : Maintenant qu’Alan Vega est mort, tu es prêt à être le nouveau roi de la ville des synthétiseurs noirs ?
Alex Cameron : Non, je n’oserais même pas marcher dans ses traces. C’est une des choses les plus importantes qui soient arrivées au punk froid, et je ne contesterai sa mémoire pour rien au monde. Mais oui, Alan Vega et Suicide auront toujours une place à part dans mon panthéon personnel. C’est beau, c’est brutal, c’est libre.. J’adore vraiment et je resterai un fan’, je ne veux même pas m’en approcher.
Supersonic : Pour moi la fin de Take Care Of Business est du génie pur, avec cette douce et nébuleuse montée de synthétiseurs..
Alex Cameron : Merci beaucoup.
Supersonic : C’est vraiment la fin parfaite pour un album.. Qu’est-ce que tu en penses ?
Alex Cameron : C’est mon histoire la plus aboutie je pense, avec The Comeback, ils sont arrivés à peu près au même moment d’ailleurs.. Ces deux morceaux se déplient de façon si naturelle.. C’est le summum de ce que je veux faire. L’un est la fin du « Side A », l’autre du « Side A » d’ailleurs.. Ils explosent tous les deux dans le cosmos…
Il entonne sans s’en rendre compte un motif vocal de « Take Care Of Business » : « ahi ahiiii aaa»
Alex Cameron : C’est vrai que Take Care Of Business est toujours la plus puissante à jouer sur scène, les émotions sont si vraies et si présentes.. Et la fin avec ce crescendo au synthétiseur.. Extatique.
Supersonic : Oui ça me fout les jetons quand je l’écoute. Et ça raconte vraiment ton histoire, pour le coup ?
Alex Cameron : Oui, c’est une des plus personnelles, tu as raison. Il n’y a absolument aucun personnage dans celle-ci : c’est moi à 100%.
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Maxime Jammet pour Supersonic
Interview réalisée le 25 octobre 2016