MIKE WATT

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Une vie passée à improviser

Mike Watt est un poids-lourd en terme d’improvisation. Après avoir passé sa vie en roue libre, passant d’un groupe à un autre telle une sauterelle insatiable, le bassiste punk nous a donné une splendide leçon d’improvisation avec une superbe performance électrifiée et imprévisible de son trio collaboratif « Il Sogno Del Marinaio », tout ça après avoir fait une bonne sieste en plein milieu de la salle, bien évidemment.
Oui, car l’ami Mike Watt s’en fiche pas mal du qu’en dira-t-on. Tel un fier mousquetaire venu d’une autre planète, il ne fait que suivre son instinct. Comme on a pu le constater, une nouvelle fois, au cours d’un échange de questions-réponses sous haute tension, où le bonhomme tente de résumer en 30 minutes le joyeux bordel que fut sa vie, entre cris et regards émerveillés et en partant, encore une fois, dans tous les sens. Merci d’accueillir Mike Watt.


 

« J’ai toujours rêvé de venir en France »

Supersonic : Allons-y…

Mike Watt : C’est l’histoire d’un mec qui dit à son grand-papy qui regarde des vieilles photos : « qu’est-ce que tu fabriques encore », là-dessus le vieux lui rétorque : « attends une seconde », et voilà…

Intéressant. On peut commencer ?

Oui bien sûr, mais je croyais que c’était une conversation !

Oui bien sûr, mais j’ai quand même quelques questions. Ça va Mike, la forme ?

Oh tu as carrément écrit un script, haha ! Je suis content d’être là, merci pour l’invitation.

Merci à toi d’avoir accepté. Bon, ne t’inquiètes pas on ne vas pas parler d’Iggy Pop.

Je l’adore tu sais, j’ai déjà passé 125 mois avec lui. Ronny, Scotty, Steve… Ils sont tous très gentils.

J’en doute pas, mais je suis là pour parler d’un mec qui s’appelle Mike Watt.

Je ne l’ai pas réveillé.

Haha. Watt c’est un surnom ou c’est ton vrai nom de famille ?

C’est le nom de mon père, James Watt, né à Glasgow. Ma mère vient d’Italie, ses deux parents y sont nés, en Sicile. Je suis à moitié Italien, sans oublier la mère de mon père qui est danoise. Je suis un mélange de tout ça.

« Comment tu peux donner la direction si on ne t’a jamais donné la direction ? »

 

Intéressant, et c’est pour ça que ton nouveau groupe porte un nom Italien ? (Il Sogno del Marinaio)

Absolument pas, car ça n’est pas mon groupe ! Mon nom est écrit sur le poster mais c’est Stefano le guitariste qui a lancé ce groupe, c’est lui qui vient d’Italie, et c’est lui qui a rassemblé tout le monde. Et puis « Il Sogno Del Marinaio » peut se traduire par « The Sailor’s Dream », ça n’est pas exclusivement italien, chaque membre du groupe est important. Un jour Stefano m’a demandé de venir jouer avec lui à un festival, on a fait 6 concerts, et puis après on a fait un album, voici l’histoire de ce projet. Ils m’ont laissé le soin de choisir le nom, c’est moi qui ai décidé que ça serait « Il Sogno del Marinaio ».

C’est donc un peu un projet solo de Mike Watt ? C’est le premier ?

Non, pas du tout, ça n’est pas mon groupe, c’est une collaboration, et en plus c’est eux qui m’ont demandé de venir. Un projet solo, ça serait plutôt : Mike Watt and the Missing man pour mon 1er disque, Mike Watt and The Secondman, le 2e disque, Mike Watt and The Black Gang. J’utilise mon propre nom, quand c’est solo ! Mais en fait ce ne sont pas vraiment des projets solos, je joue encore avec d’autres lads ! Regarde mon premier album solo je l’ai fait avec 48 mecs ! Je donne la direction, c’est tout. Un projet solo pour moi, ça serait un one-man-band.

Ahahah. Tu n’as donc jamais vraiment eu de projet solo, tu n’aimes pas le concept ?

Un one-man band ?

Non, haha, un projet solo.

Ok, écoute-moi bien, voici les 3 seules manières de faire de la musique :
1: Tu es avec d’autres mecs, tu collabores, tout le monde participe.
2: Ce que j’ai fait avec Porno for Pyros, Jay Mascis et ensuite avec les Stooges : on te donne les directions, tu n’écris rien et tu suis la direction.
3: JE donne la direction.
J’ai déjà tout fait, j’aime bien être libre et tout essayer. Je pense que le plus important dans la vie est de savoir se renouveler en permanence. Parfois tu donnes la direction, parfois non. Comment tu peux donner la direction si on ne t’a jamais donné de direction ? La collaboration est le centre de tout ça, puisqu’on est tous égaux, il faut partager.

Ce groupe « Il Sogno Del Marinaio » est une collaboration. La première collaboration que j’ai faite c’était avec Minutemen. Ensuite avec Dos, le groupe avec deux bassistes : j’écris des chansons, Kira Roessler en écrit aussi. Firehorse, j’ai écrit quelques chansons, Georgy quelques paroles. Bon c’était surtout moi. Ça serait peut-être ça en fait, mon seul projet solo… Mais non ! (il se met à crier, NDR), je suis encore en train de jouer avec d’autres gens !

Ahahah, je crois que j’ai compris. 65 ans c’est beaucoup pour un punk, non ?

Dans les années 60, ils ont marqueté le Rock’n’roll comme une musique jeune, mais les Rolling Stones sont encore en train de jouer.

« C’était « Now Now Now Now » ! »

Justement je trouve ça bizarre, c’est plus un truc qu’on fait quand on est jeune.

Non, non, c’est le marketing qui veut ça, mais à la base « rock’n’roll » ça veut dire « sexe » en argot black, c’est tout. Le reste c’est du marketing. Sauf que les Stones sont devenus vieux, ça n’a plus aucun sens, tu ne peux plus les vendre comme un produit pour les jeunes. Et regarde ces deux gars qui jouent avec moi ce soir, ils ont 20 ans de moins que moi ! Les choses changent, tout n’est que moment.

Bien-sûr, donc tu penses qu’on peut faire du rock’n’roll même à 60 ans ?

Regarde les Rolling Stones, ils ont quel âge ?

Justement c’est ridicule je trouve, mais je m’en fiche, je te demande à toi. C’est d’autant plus surprenant parce que tu viens du mouvement punk, tout le monde voulait mourir jeune, non ?

Oui, j’étais un peu comme ça, j’ai eu beaucoup de chance parce que j’ai fait plein de conneries, mais je ne suis pas mort ! Je n’ai jamais voulu me suicider mais j’ai fait de sacrées conneries, j’essaie de moins en faire aujourd’hui. On était des gosses on ne savait pas… On ne savait pas si on aurait un futur ! La guerre nucléaire, la vie dans la rue, prendre des risques, c’était « Now Now Now Now » ! Mais voilà le temps a passé et je suis encore là ! Je suis resté à moitié-mort 2 ans, mais je m’en suis remis.

Super, 44 ans de bons et loyaux services envers le rock.

Et ça n’est pas fin, ahaha, laisse-moi une chance ! Mais tu vois une de mes plus grandes sources d’inspiration c’est Iggy (qu’il prononce, Ijy, NDR). Il a 11 ans de plus que moi, il a perdu tous ses amis, il a perdu son groupe, et quoi ? Il continue ! Moi aussi j’ai perdu des potes, on perd tous des potes, mais il faut continuer, chacun est le propre maître de son destin, comme toi en journalisme, si tu veux continuer à écrire tu dois continuer à écrire ! On appelle ça le temps.

Donc tu veux continuer à faire du rock jusqu’à la fin, parce que tu aimes ça et que tu ne peux pas t’arrêter ?

Oui, j’aime ça, bien sûr. C’est pour ça que j’aime collaborer, donner des directions. En plus, tout ça est rendu très facile aujourd’hui avec internet, tu peux faire des disques avec des gens sans même les rencontrer. Il y a encore tellement à faire en musique ! Je peux même faire des choses avec 4 cordes, je n’ai pas besoin d’une basse 5 cordes !

Bien sûr, les punks peuvent même jouer avec 1 corde.

Ok, tu commences à comprendre où je veux en venir: les opportunités ! Qu’est-ce qui peut être fait ? Le seul truc qui peut bloquer cette énergie serait un accident. Regarde ce qui est arrivé à ma jambe ! Mais il me reste ma tête, et mes oreilles.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

Un concert des Stooges, en 2010, à Marseille. Le 12 juillet. Le dernier tour de la première chanson : je me suis cassé la jambe, et bien j’ai continué tout le concert !

Un vrai héros. J’aimerais causer du terme « expérimental », que l’on t’accole et qui pour le coup veut vraiment tout et rien dire. C’est quoi pour toi la « musique expérimentale » ?

Et bien la musique où tu expérimentes, hahah ! Non mais tu as raison, c’est un genre et je n’aime pas ça. La musique pour moi restera toujours la musique. Non mais par exemple regarde ce groupe que j’ai eu The Hand To Man Band avec Tim Lawrence, John D. et Tom Mc Donald, et ben putain ça partait vraiment dans tous les sens ! C’est juste de l’improvisation.

C’est exactement de ça dont je veux parler. Même ta propre vie ressemble à une improvisation infinie, dans le bon sens du terme, bien sûr.

Oh oui oui, c’est vrai ! Je te laisse écrire le script, ahahaha. Non mais en vrai dans mes projets, j’essaie de mélanger une part d’improvisation avec une part d’écriture préalable aussi quand même.

« Il n’y avait jamais une seule manière de jouer un morceau. »

Cool. Même ce soir tu ne sais même pas ce qui peut se passer, c’est la magie de l’instant ?

Oui, complétement. On joue ensemble depuis deux semaines, on se connaît, c’est facile d’improviser… avec ces parties de solos trippés ! (Il se tourne vers son guitariste).

Un ancien punk qui se met à l’expérimental, j’ai l’impression que tu n’es pas le premier à qui ça arrive. Une suite logique ?

Oui, regarde Throbbing Gristle dans les 70’s. Ça doit être une évolution logique, oui. La vie est un voyage tu sais. Le punk pour moi n’aurait même pas du devenir un genre, c’était un état d’esprit, une communauté de gens qui voulaient repousser toutes les barrières, il n’y avait jamais une seule manière de jouer un morceau, pas de règles, pas de manuel à suivre. Et puis tout le monde a commencé à jouer les mêmes chansons, dans les mêmes clubs.

Oui, ça devrait être court, sans futur, et ça fait 50 ans que ça dure.

Oui je sais, mais l’esprit est encore là. Le punk, c’était tout et rien à la fois. A l’époque c’était mal vu, j’ai vu des punks finirent en taule pour avoir fumé une cigarette ! Tu sais, on n’avait pas d’endroit où jouer au début. Quand les 70’s sont arrivées, le rock de stade a tout emporté sur son passage et les petits clubs ont disparu les uns après les autres. Il a fallu qu’on fasse tout nous-mêmes : « Fais ton propre groupe, ton propre label, ton propre club ». Tout le monde faisait des covers, nous on voulait faire notre propre musique, alors on a appris à jouer et on a fait notre propre musique, avec un changement de mentalité complet. Entre ça et les gros concerts vs les petits concerts, ce sont les deux points qui ont créé le punk ! Pas la coupe de cheveux ni les fringues.

Oui, le plus important dans le punk c’était la musique ?

Non, le plus important c’était les gens, et c’est encore le cas aujourd’hui. Tu sais quand j’étais gosse j’adorais T-Rex, ils étaient tout petits. Les Stooges aussi, ils n’étaient rien, des zéros, mais si ils n’avaient pas été là, il n’y aurait jamais eu de punk.

Oui, bien sûr, c’est le proto-punk, les pères du mouvement. Il y a les New-York Dolls !

Oh oui, ils sont très importants ! Sans oublier Captain Beefheart, il était fou et chantait comme Howlin’ Wolf en tentant plein de trucs. Et regarde, je vais te trouver quelque chose de Paris qui m’a beaucoup inspiré : le Dadaïsme. Et le surréalisme. Mon artiste surréaliste préféré s’appelle Yves Tanguy, il ne savait même pas comment peindre ! Et chez les Dadas, j’adore Marcel Duchamp, ils ont tout mis à l’envers, ils étaient fous, ils finissaient en Californie sur la plage.

Oui, comme beaucoup de gens.

Ahahah. À propos de tout ça, pour moi la musique est une forme d’expression. L’art est une fabrique pour connecter les gens et éviter le fascisme, enfin les gens qui ont du temps. On ne force personne, vous pouvez aller travailler, ahahah !

« C’est un groupe ! (Il Sogno Del Marinero) »

Ahaha. On dit que tu as joué avec beaucoup de légendes, mais en fait ce ne sont que des gens normaux, pas vrai ?

Oui, bien sûr. Ils font caca comme tout le monde. Ce sont des humains, simplement ils sont géniaux. John Coltrane travaillait 13 heures par jour ! Miles était complétement malade aussi.

Oui, et si tu les acceptes comme des gens normaux ils viendront vers toi plus facilement. C’est comme ça que tu as rencontré plein de gens et fait tant de projets.

Oui, après certaines portes restent bloquées, ça dépend des fois. Tu sais à propos de Firehorse, un mec est mort dans un accident de voiture, à ce moment-là un mec arrive et il prend la place. Comment on appelle ça, une coïncidence ?

Non, je ne crois pas aux coïncidences, simplement il faut être au bon endroit au bon moment.

Ok, donc j’étais fait pour participer à 125 albums.

Bien sûr, avec un nom de famille pareil. Tu es né pour faire du rock’n’roll.

Ahahah, ok, et tu sais comment ça m’est tombé dessus ? Quelqu’un m’a demandé de rejoindre son groupe et j’ai dit « OK », je ne savais même pas ce que c’était qu’une basse !

Comme Sid Vicious, sauf que lui est mort, c’était un punk stupide.

Oui. Mais son ami Johnny Rotten est très intelligent ! Je l’ai rencontré plusieurs fois, c’est un sacré numéro. Il était très triste quand il a vu l’évolution du punk, il en parle très bien dans le film « The Filth and The Fury ».

En parlant de cinéma, tu as vu Gimme Danger de Jarmush ? (Film sur les Stooges où il apparaît, NDR)

Je ne l’ai pas encore vu ! J’ai été interviewé deux fois par Jarmush pour le film, mais je n’ai encore rien vu. Je lui fais confiance, c’est un grand fan des Stooges.

Est-ce que tu es devenu Vegan et Straight-edge avec le temps, après toutes ces années d’excès ?

Non, haha. J’adore les légumes mais j’adore aussi les fruits de mer et je bouffe des tonnes de viande.

Tu avais 20 ans au moment de l’explosion punk, ça devait être quelque chose.

Ouais, mais la première fois que je suis allée en Angleterre c’était en 83 avec Minutemen et BlackFlag. La France c’est arrivé hyper tard, alors que j’ai toujours rêvé de venir ici ! Je vais jouer partout !

C’est gentil. Tu vas peut-être rencontrer quelqu’un ce soir et former un nouveau groupe demain.

Oui, tout peut arriver.

J’ai vu que tu avais fait de la radio aussi durant 16 ans.

Oui, j’ai interviewé les gens à propos de leurs voyages à travers la musique. Et tu te rends compte que personne n’a eu le même voyage, journalistes et musiciens. Steve J, batteur des Flaming Lips, a commencé à 6 ans… 6 ans ! Un pote a commencé la guitare à 27 ans… On est tous différents !

Entre ça et les 30 groupes dans lesquels tu as joué, tu es un peu hyperactif, non ?

Oui, le truc c’est qu’on ne sait pas combien de temps il nous reste. La roue tourne en permanence. Il ne faut pas trop y penser.

Merci beaucoup Mike.

Merci Maxime, c’était cool, merci mon ami.

 

Il Sogno Del Marinaio // Nuevo Spirituo Tour // 2017
Propos recueillis par Maxime Jammet le 2 octobre 2017

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